Le motif de l'enquête: l'étude de Robe de chambre pour Balzac, plâtre de 1897 reconstitué 2024



Nous le claironnons avec @urban__james__ @patriciafalguieres et aussi @cathruello1 : Corps in-visibles, une enquête autour de la Robe de chambre du Balzac de Rodin est l'une des meilleure exposition de l’année 2024 — en cette fin d'année, elle contraste de plus belle avec l'accumulation capitaliste de certaines manifestations parisiennes, qui entassent les oeuvres et les visiteur·euses.  Celle-ci, au contraire, fonctionne, comme Marine Kisiel sa curatrice l'a expliqué à @urban__james__"sur le mode de la décrue", pour ce qui concerne le nombre de choses montrées: elle fait le vide, pour mieux donner à sentir son argument, son récit, qui est celui d'un artiste qui fait le vide pour donner corps en sculpture. 






                                   Entrer dans l'exposition. Il s'agit de se demander quels corps comptent?


Mais d'abord, cette exposition s'enveloppe dans la négativité des mouvements sociaux qui, depuis une dizaine d'années environ, refuse toute représentation. Elle n'en parle pas mais je pense à nous à OuiOuiOui (collective de combat constitué fin 2012 contre la Manif pour Tous, défendant l'ouverture à toutes et tous du mariage, de l'adoption et de la PMA jusqu'à son vote et après, en 2014) qui ne voulions pas de représentations officielles ou de porte-parole imposé qui la monopolise. "Le féminisme n'a jamais tué personne", lit-on sur l'une des banderoles  passant dans la video où on voit le déboulonnage , la peinture,  le "taggage" offerts  aux statues érigées des colonisateurs, des dictateurs, des prédateurs au moment de Black Lives Matter.  L'expo s'inscrit ainsi politiquement, dans  questionnement récent des représentations "des grands hommes" des XIXe et XXe siècles dans le dur des statues ou les noms des rues,  par un corps social qui ose défaire en face à face leur violence majoritaire. Et elle affiche des citations de Paul B.Preciado (à son entrée) et Laure Murat (à la sortie). 



Balzac par Balzac, 1835-5 Plume et encre



"perfectionnement de l'art du tailleur" et schéma de "saumamètre" 1827


Rodin, Moule en creux et épreuve pour une tête de Balzac, 1891 (masque du charretier tourangeau servant de modèle pour le "type de Balzac",  Plâtre

Cette négativité première est ce quoi toute œuvre de représentation se colle. Elle s'écrit sur de l'absence: Rodin s'y confronte concrètement lorsque  la Société des gens de lettres lui commande une statue de Balzac, quarante ans après la mort de celui-ci. Comment lui faire "prendre corps"? A ce corps absent en question, Rodin s'applique à faire, littéralement,  le tour. Il collecte toutes les images et les descriptions y compris et surtout caricaturales, y compris celle de l'écrivain par lui même, irrésistible;  il l'enracine dans un déterminisme régional tourangeau, pour trouver un modèle  vivant ;  il consulte également le tailleur de Balzac. Celui-ci apparait en effet déjà comme un "vestignomone", comme si sa théorie des humains dans La Comédie Humaine passait par leurs costumes et leurs variations, leurs humeurs et les modes



                                         Mesuréotype à l'usage des tailleurs, 1850, Brevet


 L'éventail des connaissances et des références de Marine Kisiel, historienne de l'art actuellement conservateur·ice à Galliéra, permet à l'exposition de remettre en perspective cet élément souvent invisible des cultures matérielles: l'obsession des mesures qui se manifeste au XIXè siècle, dans toutes les technologies appliquées à la fabrication du vêtement et à sa reproductibilité industrielle (la confection), pour lesquelles des milliers de brevets sont déposés.  L'exposition  mobilise alors toutes ces applications corporelles de la « mesure »  du XIXe siècle par les métiers de la mode. Mètres-rubans, schémas de perfectionnement, "basiomètre" pour hommes, "mesure Herviou", "saumamètre", "métromètre", "mesuréotype", "corporimètre"  etc. composent un répertoire de graphiques et de schémas de construction d'appareils ressemblant au mieux à des corsets au pire à la Colonie pénitentiaire. C'est montrer, bien mieux que nombre d'ouvrages, à quel point l'observation a partie liée, au XIXe. au moins,  avec l'instrumentalisation, et à quel point celle-ci s'articule à l'établissement de normes auxquelles le corps doit s'ajuster, plutôt que le vêtement. 



Costume de Balzac refait au mesures données par son tailleur René Pion, 2024

              
                    Vue d'exposition avec l'étude de nu au gros ventre, le masque, la veste et la redingote

                                                           L'Etude C du Balzac de Rodin
                                                                    


C'est ainsi que Rodin se confronte à un problème, celui de la démesure d’un corps estimé hors normes, donc jugé  inajustable. Cette confrontation se marque par la reconstitution 2024 d'une veste de costume de Balzac selon les mesures opérées par son tailleur Louis Pion, en 1842,— une reconstitution que Rodin avait lui même requise en 1893. Cette veste  est placée à côté d'une redingote attribuée à un homme "fort", en- fort-contraste.  La grossophobie existe déjà semble-t-il aux temps de Rodin et ses études d'un Balzac juste, c'est à dire "à gros ventre" ou plus abstraitement "immense" lui sont refusées. Elles sont exposées à Rodin. 



                                                        L'Etude de robe de chambre vue de dos

Il s'agit donc de faire le vide.  Par la robe. Celle "de moine" qui enveloppe l'écrivain, selon Théophile Gautier, "en guise de robe de chambre", associant avant Virginia Woolf la pratique de l'écriture à celle d'une chambre à soi. Une chose qui drape, plisse, cache et qui, dans sa matérialité même, désajuste . Et voilà Balzac devenu Albertine, à qui le narrateur offre des robes de chambre de Fortuny (ici ajouter un souvenir personnel de Venise). Rodin passe à la pratique : celle du moulage de robe de chambre pour "donner corps" sans corps, ou plutôt, en le vidant du corps, un corps non-humain sans doute . Sauf un pied sculpté. Un bout de pied en effet reste là avec l'enveloppe,  ajustant ici le Chef d'Oeuvre Inconnu, texte de Balzac adapté  à la lettre!!!  (dans la nouvelle de Balzac  c'en effet un petit pied "mignon" qui reste comme trace figurale au sein d'un amas de couleur sans contours discernables)  La "muraille abstraite" du Chef d'Oeuvre prend ici la forme d'un textile recouvert de plâtre, d'où le corps s'est ou plutôt a été échappé par une césure et remplacé par des armatures d'où le moulage s'échappera à son tour.  Ainsi il apparaît "en creux" (la technique), composant un ajustement presque impensable qui le fait "passer pour" (au sens de "passing" anglais) le corps, même. Un double vide, en somme. 


 



La robe de chambre de Balzac en cours de moulage dans l'atelier, photo de 1897



Là, parler du spectral, du fantôme, de cette matérialité qui l'ajuste.  

Pour « bander » sculpturalement ce corps incontenable. 




Rodin, Deux esquisses de Balzac vêtu, 1891-5, terre cuites;  Homme vêtu, Balzac ou le Bourgeois de Calais, 1891-5, et Balzac, robe de chambre, 1897, terre cuite. 



Reste également l'échappée  qui ajoute ce moment décisif du modelage. Moment qui, comme son nom ne l’indique pas, se défie et se défait d’un modèle, y en a marre, on lâche tout,  pour reporter le vif sur la main qui agit et sa performance, qui rend possible un Balzac "émancipé" , hors de sa niche, sinon autonome.

 

Alors, la question du monument et de sa dédicace ("à Balzac à Rodin ") surgit de plus belle, signant d'ailleurs aussi son nomadisme : refusé par ses commanditaires en 1898,  le monument  est aussi effacé de son lieu de destination, il ne sera installé qu'en 1939 boulevard Raspail. Son ubiquité persiste, il est également dehors dans les jardins du musée Rodin,  du musée de Hakone (Japon), du musée de Middleheim (Anvers).




                 

                               Le plâtre du Balzac de Rodin 1898 et la statue en bronze de Thomas J Price, Reaching out , 2020.



Le travail @marinekisiel mobilise aussi bien Wittkower  et Judith Butler, la propriété industrielle et l'industrie de l'atelier (du sculpteur, Rodin particulièrement —et jusqu'à aujourd'hui), la caricature et la texture,  Jean-Christophe Bailly et Daria Marx,  l'enquête sur le terrain et l'expérimentation,  l'exposition et le livre,  le politique et le technique. 


C'est marrant. Le livre de Rosalind Krauss Passages  Une histoire de la sculpture de Rodin à Smithson (la traduction française de Passages in modern sculpture, 1981 fut publiée en 97) s'ouvre avec cette description du Rodin de Balzac comme passage de la statuaire architecturale à la sculpture moderne qui n'a d'autre lieu que son socle- ou pas, et qui résiste à produire du sens en dehors de l'expérience visuelle qu'elle propose en surface. L'exposition et le livre de Marine Kisiel remontent bien loin en amont vers toutes les procédures matérielles et idéologiques qui, du vivant de Balzac et surtout après sa mort, veulent célébrer un "Grand Homme", un vocable qui inclut certainement et Balzac, et Rodin, en incluant son caractère phallique dans le "look" du monument.  


Anecdote significative? Certainement. 


l'exposition : CORPS IN-VISIBLES commissaires Marie Kisiel et Isabelle Collet,  jusqu'au 2 mars. Le livre, Marine Kisiel, Dérobades. Rodin et Balzac en robe de chambre, éditions B42


 



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Cookie Mueller, 1981 

Toutes photos ©2025 the Peter Hujar Archive/ Artists Rights Society (ARS), NY. 

Photos EL et : Marcus J Leith @Mousse

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Candy Darling on her Death Bed, 1974

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…d’abord, parler de la beauté de l’exposition—la plus belle que j’ai jamais vue de Peter Hujar et, pour Adrian mon comparse, l’une des plus belles expositions de photographies jamais vues à Londres. Celle-ci tient certainement à l’institution qui l’a produite et qui l’accueille, qui n’est ni un musée, ni une fondation ni une collection.

Ça, c'est Psalms lors du vernissage de Donald Rodney à la South London Gallery ( 1997 ). En l'absence de celui-ci. Psalms le représentait : une chaise roulante motorisée, vide, équipée d’un ordinateur, d’une caméra vidéo et de sensors qui lui permettent de se déplacer silencieusement sur le plancher sans entrer en collision, ni avec les humains, ni avec les choses exposées— la rêverie d’une promeneuse solitaire qui ne va nulle part et évite juste de tamponner les autres.

Jo Spence (1934-92) and Terry Dennett (1938-2018) Remodelling Photo History: Self as Image, 1982

Pogus Caesar, Portrait of John Akomfrah RA, photographed during the 1985 Handsworth Riots.

j’appose en story sur Insta des images de la plupart des expositions que j’ai vues à Londres. A côté des noms des artistes, j’appose aussi leur date de naissance et leur date de mort. Ce n’est pas un hasard.

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(photos DR)

En 2022 a lieu une table-ronde à la Cinematek. Stéphane Gérard et Lionel Soukaz sont à Bruxelles, je suis à Paris, par Zoom.

En guise d'avant-texte, celui-là  je suis en train de l'écrire, je reproduis ici une interview que Lionel Soukaz m'a donnée en 2002, pour Libération. Je pourrais aussi reproduire, mais c'est trop long, le chapitre de mon livre Ce que le sida m'a fait sur le Journal Annales (1992-2013) de Lionel Soukaz. Ou (re)traduire ce texte  que j'avais produit en français, traduit (William Bishop) en anglais et publié en polonais.... Ou bien, ou bien....

La censure, Lionel Soukaz connaît.

Le motif de l'enquête: l'étude de Robe de chambre pour Balzac, plâtre de 1897 reconstitué 2024

Nous le claironnons avec @urban__james__ @patriciafalguieres et aussi @cathruello1 : Corps in-visibles, une enquête autour de la Robe de chambre du Balzac de Rodin est l'une des meilleure exposition de l’année 2024 — en cette fin d'année, elle contraste de plus belle avec l'accumulation capitaliste de certaines manifestations parisiennes, qui entassent les oeuvres et les visiteur·euses.

Deux ou trois choses que je sais des Pays de la Loire (dont j'ai failli il y a longtemps devenir conseillère arts plastiques, Mario Toran m'ayant alors proposé de le remplacer alors qu'il entrait dans la phase sida de l'infection à VIH); on m'a dit qu'il s'y était développé une activité culturelle et pédagogique intense et ce, malgré la tendance catho de droite de la région ; on m'a dit que son maillage culturel  de Nantes à Saint-Nazaire, du Mans au Sable d'Olonne, était lui aussi intense; on m

Détail d'un des Raboteurs de parquet, 1875 

Vue d'exposition avec la grand tableau de l'Art Institute de Chicago: Vue de Paris, temps de pluie; Intersection de la Rue de Turin et de la Rue de Moscou, 1877.

Séduite par l'exposition Caillebotte et ses cartels*, je me suis trouvée abandonnée par les critiques paresseuses où bourdonne un "anti-wokisme" basique**.

Il n'y a qu'une pièce dont je veux parler ici parmi celles qui figurent dans l'exposition L'Age Atomique. Je ne peux pas me la sortir de la tête.  Ce sont les Thanatophanies  (1955 -1956) d'On Kawara. Trente dessins furent réalisés à la mine de plomb. Ils ont fait, quarante ans plus tard, l'objet  d'un portfolio de trente gravures publié en 1995, ici exposé.  Ce sont, littéralement, des "apparitions de la mort". Leur titre l'énonce.
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