Vue d'exposition à Bétonsalon (toutes photos LBV)


             (Angelophanies, 1987-88) et en bas à droite, Personal Statement, 1994.




Lumière bleue et vibrations scintillantes sur fond de béton. C’est cette ambiance lumineuse, cette pulsation de l’entre-images que j’ai d’abord vues et entendues dans la salle de béton (« Bétonsalon ») obscurcie. L’architecture amplifie et s’amplifie d’une mise en espace polarisée sur ses quatre côtés, portant chacun l’installation répétée d’images, caissons lumineux, tirages photographiques, vidéos, double projection sur écran, jamais seules ; et puis, au centre dans sa longueur, une double rangée de 100 et 100 photographies (Angelophanies, 1987-88). Les effets chimiques de leurs surexpositions et de leurs superpositions  « dévorent » la photo unique trouvée par Maria dans le fonds de son père obstétricien (avant de partir, en 1975, avec Katerina, d’Athènes pour la France); elles ont fui, ensemble, accompagnées de cette image unique et néanmoins multiple de corps, qui sont à la fois cachés, silencés, dissimulés et crûment exposés au forçage chirurgical imposant un choix forcément politique, celui d’une forme anatomique entièrement soumis à la binarité. Maria Klonaris et Katerina Thomadaki ont adopté cette « image-entre », en ont fait leur forme, leur trio, leur façon de faire et leur pratique « intermédiale », pliant les technologies jusqu’à leurs bords pour composer un cinéma « intercorporel » à l'image de cette image. 

A l’époque, l’interaction entre Claude Cahun et Marcel Moore (Gertrude Stein et Alice B. Toklas,  Adrienne Monnier et Sylvia Beach) n’existait pas, sa mémoire n’avait pas encore surgi pour reconstruire l’histoire de ces « passages », de cet entre-lesbiennes de la création, de la transmission, de la méditation. Un dessin de Maria Klonaris, Selbstbildnis mit Katerina Thomadaki, 1970, les lie à cette généalogie produite a posteriori. Bien d’autres artistes viennent s’y articuler, qu’il s’agisse de techniques, je pense particulièrement à Mark Morrisroe pour la photographie « sandwich » de négatif et internégatifs associés, ou de projets, et là je pense à Barbara Hammer pour sa croyance en un cinéma expérimental non hétérocentré, non hétéronormé (Stan Brakhage inverti ou inversé); ou encore, à toute cette invention, par des artistes femmes notamment, d’un cinéma d’installation mobilisant l’architecture du musée, fuyant les salles obscures (et les cinéphiles du premier rang, particulièrement rudes à leur égard comme en témoigne l’impudeur sexiste de la Cinémathèque française).

                                                                      Sword and Sea, 2024
                                          Manifeste, 2024 (12 tirages dans caissons lumineux
 

           Sword and Sea, 2024 et en bas  vue d'exposition avec au fond XYXX Collapse of Gender, 1994




[j'ai peur que les imports ne marchent pas]



Ainsi, cette exposition n’est pas une déclaration d’intention. C’est son déploiement visuel, et son animation sonore, qui m’ont frappée. Sans nostalgie aucune, elle agit dans sa forme présente, donnant une sensibilité futuriste à des technologies qui pourraient-elles aussi être devenues des archives. Ici, le cinéma expérimental, celui qui se préoccupe de non binarité et s'imprègne de dissidences esthétiques venues de cultures décentrées, s'y retrouve. Ainsi, Sword and Sea, 2024, sur deux écrans accolés, où la double figure d’une guerrière Thomadaki et son sabre émergent et s’immergent dans l’eau numérique, qui se transforme en mer grecque, figure et fonds poussés par un mouvement de mutation continuelle : une première modification numérique, au début des années 2000, par Maria Klonaris, d’images réalisées dans les années 1990, a été une deuxième fois modifiée par Katerina Thomadaki, ce que les curatrices et les critiques ont lu comme une façon de stratifier le temps – de l’arrêter tout en le laissant couler— et j’ajouterais : d’y rendre tangible un entre-temps qui est aussi un autre temps de l’exposition. 

 

Et puis, il y a ces mains bleues sur quatre écrans video superposés (Personal Statement, 1994). Là encore, Klonaris/Thomadaki rejoignent le corpus, moins des cinéastes que des artistes ayant utilisé le medium de la video : n’oublions pas que les mains de Katerina Thomadaki ont été celles de Michel Journiac ; je pense encore à Yvonne Rainer (Hand Movie) avant Richard Serra (“Hand Catching Lead), à Georges Tony Stoll (Le jour où j’ai décidé de me peindre les mains en bleu)…Les mains, ici sont là pour tenir, retenir, tenter d’arrêter l’image qui passe —l’archive, la voix de Maria Klonaris. Elles sont inéluctablement emportées dans le présent. 

 

 

Klonaris/Thomadaki j'accède à l'ange par ton extase, Bétonsalon jusqu'au 14-12.  

*in Katerina Thomadaki, "The Angel Experience" 2024, livret distribué avec l'exposition.

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Cookie Mueller, 1981 

Toutes photos ©2025 the Peter Hujar Archive/ Artists Rights Society (ARS), NY. 

Photos EL et : Marcus J Leith @Mousse

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Candy Darling on her Death Bed, 1974

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…d’abord, parler de la beauté de l’exposition—la plus belle que j’ai jamais vue de Peter Hujar et, pour Adrian mon comparse, l’une des plus belles expositions de photographies jamais vues à Londres. Celle-ci tient certainement à l’institution qui l’a produite et qui l’accueille, qui n’est ni un musée, ni une fondation ni une collection.

Ça, c'est Psalms lors du vernissage de Donald Rodney à la South London Gallery ( 1997 ). En l'absence de celui-ci. Psalms le représentait : une chaise roulante motorisée, vide, équipée d’un ordinateur, d’une caméra vidéo et de sensors qui lui permettent de se déplacer silencieusement sur le plancher sans entrer en collision, ni avec les humains, ni avec les choses exposées— la rêverie d’une promeneuse solitaire qui ne va nulle part et évite juste de tamponner les autres.

Jo Spence (1934-92) and Terry Dennett (1938-2018) Remodelling Photo History: Self as Image, 1982

Pogus Caesar, Portrait of John Akomfrah RA, photographed during the 1985 Handsworth Riots.

j’appose en story sur Insta des images de la plupart des expositions que j’ai vues à Londres. A côté des noms des artistes, j’appose aussi leur date de naissance et leur date de mort. Ce n’est pas un hasard.

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(photos DR)

En 2022 a lieu une table-ronde à la Cinematek. Stéphane Gérard et Lionel Soukaz sont à Bruxelles, je suis à Paris, par Zoom.

En guise d'avant-texte, celui-là  je suis en train de l'écrire, je reproduis ici une interview que Lionel Soukaz m'a donnée en 2002, pour Libération. Je pourrais aussi reproduire, mais c'est trop long, le chapitre de mon livre Ce que le sida m'a fait sur le Journal Annales (1992-2013) de Lionel Soukaz. Ou (re)traduire ce texte  que j'avais produit en français, traduit (William Bishop) en anglais et publié en polonais.... Ou bien, ou bien....

La censure, Lionel Soukaz connaît.

Le motif de l'enquête: l'étude de Robe de chambre pour Balzac, plâtre de 1897 reconstitué 2024

Nous le claironnons avec @urban__james__ @patriciafalguieres et aussi @cathruello1 : Corps in-visibles, une enquête autour de la Robe de chambre du Balzac de Rodin est l'une des meilleure exposition de l’année 2024 — en cette fin d'année, elle contraste de plus belle avec l'accumulation capitaliste de certaines manifestations parisiennes, qui entassent les oeuvres et les visiteur·euses.

Deux ou trois choses que je sais des Pays de la Loire (dont j'ai failli il y a longtemps devenir conseillère arts plastiques, Mario Toran m'ayant alors proposé de le remplacer alors qu'il entrait dans la phase sida de l'infection à VIH); on m'a dit qu'il s'y était développé une activité culturelle et pédagogique intense et ce, malgré la tendance catho de droite de la région ; on m'a dit que son maillage culturel  de Nantes à Saint-Nazaire, du Mans au Sable d'Olonne, était lui aussi intense; on m

Détail d'un des Raboteurs de parquet, 1875 

Vue d'exposition avec la grand tableau de l'Art Institute de Chicago: Vue de Paris, temps de pluie; Intersection de la Rue de Turin et de la Rue de Moscou, 1877.

Séduite par l'exposition Caillebotte et ses cartels*, je me suis trouvée abandonnée par les critiques paresseuses où bourdonne un "anti-wokisme" basique**.

Il n'y a qu'une pièce dont je veux parler ici parmi celles qui figurent dans l'exposition L'Age Atomique. Je ne peux pas me la sortir de la tête.  Ce sont les Thanatophanies  (1955 -1956) d'On Kawara. Trente dessins furent réalisés à la mine de plomb. Ils ont fait, quarante ans plus tard, l'objet  d'un portfolio de trente gravures publié en 1995, ici exposé.  Ce sont, littéralement, des "apparitions de la mort". Leur titre l'énonce.
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