Vue d'exposition à Bétonsalon (toutes photos LBV)
(Angelophanies, 1987-88) et en bas à droite, Personal Statement, 1994.
Lumière bleue et vibrations scintillantes sur fond de béton. C’est cette ambiance lumineuse, cette pulsation de l’entre-images que j’ai d’abord vues et entendues dans la salle de béton (« Bétonsalon ») obscurcie. L’architecture amplifie et s’amplifie d’une mise en espace polarisée sur ses quatre côtés, portant chacun l’installation répétée d’images, caissons lumineux, tirages photographiques, vidéos, double projection sur écran, jamais seules ; et puis, au centre dans sa longueur, une double rangée de 100 et 100 photographies (Angelophanies, 1987-88). Les effets chimiques de leurs surexpositions et de leurs superpositions « dévorent » la photo unique trouvée par Maria dans le fonds de son père obstétricien (avant de partir, en 1975, avec Katerina, d’Athènes pour la France); elles ont fui, ensemble, accompagnées de cette image unique et néanmoins multiple de corps, qui sont à la fois cachés, silencés, dissimulés et crûment exposés au forçage chirurgical imposant un choix forcément politique, celui d’une forme anatomique entièrement soumis à la binarité. Maria Klonaris et Katerina Thomadaki ont adopté cette « image-entre », en ont fait leur forme, leur trio, leur façon de faire et leur pratique « intermédiale », pliant les technologies jusqu’à leurs bords pour composer un cinéma « intercorporel » à l'image de cette image.
Manifeste, 2024 (12 tirages dans caissons lumineux
Sword and Sea, 2024 et en bas vue d'exposition avec au fond XYXX Collapse of Gender, 1994
Ainsi, cette exposition n’est pas une déclaration d’intention. C’est son déploiement visuel, et son animation sonore, qui m’ont frappée. Sans nostalgie aucune, elle agit dans sa forme présente, donnant une sensibilité futuriste à des technologies qui pourraient-elles aussi être devenues des archives. Ici, le cinéma expérimental, celui qui se préoccupe de non binarité et s'imprègne de dissidences esthétiques venues de cultures décentrées, s'y retrouve. Ainsi, Sword and Sea, 2024, sur deux écrans accolés, où la double figure d’une guerrière Thomadaki et son sabre émergent et s’immergent dans l’eau numérique, qui se transforme en mer grecque, figure et fonds poussés par un mouvement de mutation continuelle : une première modification numérique, au début des années 2000, par Maria Klonaris, d’images réalisées dans les années 1990, a été une deuxième fois modifiée par Katerina Thomadaki, ce que les curatrices et les critiques ont lu comme une façon de stratifier le temps – de l’arrêter tout en le laissant couler— et j’ajouterais : d’y rendre tangible un entre-temps qui est aussi un autre temps de l’exposition.
Et puis, il y a ces mains bleues sur quatre écrans video superposés (Personal Statement, 1994). Là encore, Klonaris/Thomadaki rejoignent le corpus, moins des cinéastes que des artistes ayant utilisé le medium de la video : n’oublions pas que les mains de Katerina Thomadaki ont été celles de Michel Journiac ; je pense encore à Yvonne Rainer (Hand Movie) avant Richard Serra (“Hand Catching Lead), à Georges Tony Stoll (Le jour où j’ai décidé de me peindre les mains en bleu)…Les mains, ici sont là pour tenir, retenir, tenter d’arrêter l’image qui passe —l’archive, la voix de Maria Klonaris. Elles sont inéluctablement emportées dans le présent.
Klonaris/Thomadaki j'accède à l'ange par ton extase, Bétonsalon jusqu'au 14-12.
*in Katerina Thomadaki, "The Angel Experience" 2024, livret distribué avec l'exposition.
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